29-30 sept. 2016 Tours (France)

Thème du colloque

En paraphrasant le titre de la célèbre conférence de Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969) [1], on souhaite revenir ici sur les fondements sémantiques de cette notion, dans son lien originaire avec celle d’ « autorité » qui est au cœur du programme de recherches du laboratoire ICD depuis 2012. Il s’agit d’interroger la riche polysémie du latin auctor, dans ses implications juridiques et politiques, philosophiques et théologiques, rhétoriques et poétiques — ce nom d’agent a jusqu’ici beaucoup moins retenu l’attention des philologues (antiquisants et médiévistes) que son dérivé abstrait auctoritas.

            Auctor signifie fondamentalement le « garant », c’est-à-dire celui qui est à l’initiative et engage un processus prospère, conformément au modèle biologique contenu dans la racine *aug- qui exprime l’idée d’accroissement[2]. Le terme appartient d’abord à la langue du droit, pour désigner celui qui légitime un acte (garant d’un acte de vente, tuteur, témoin authentifiant un élément du procès, sénat validant un vote de l’assemblée…). Hors de la sphère juridico-politique, auctor se dit ensuite, dans divers aspects de la vie sociale, de celui qui est à l’origine d’une famille ou d’une nation, d’une institution ou d’une tradition, d’un savoir : instaurateur, inventeur, instigateur, créateur, etc.

            La dimension temporelle de la notion d’autorité, relevée par Myriam Revault d’Allonnes (Le Pouvoir des commencements. Essai sur l’autorité, Seuil 2006), devrait être appliquée d’abord à l’auctor latin : bien souvent, il est ainsi désigné rétrospectivement, comme celui qui était à l’origine du processus, qui a su voir loin (cf. le modèle cicéronien du fondateur Romulus et la figure du « chef » définie par Kojève[3]) et qui a assuré une « transmission de puissance », avec continuation du mouvement initial. On pourra étudier la valeur performative des vieilles formules de droit privé et public où entre ce terme auctor (formules juridiques par lesquelles le locuteur se porte garant, engage sa responsabilité), ou bien analyser les nuances avec d’autres termes de sens voisin, ou encore montrer l’amplitude sémantique et la stylistique du mot chez tel auteur particulier.

            D’autres perspectives d’étude sont suggérées par les deux sens principaux auxquels l’évolution aboutit en français médiéval : d’une part Dieu créateur du monde, et d’autre part l’écrivain par rapport à son œuvre. La désignation de Dieu comme auctor divin n’apparaît guère qu’avec le stoïcien Sénèque et s’imposera avec les auteurs chrétiens (Tertullien, Lactance, Ambroise, Augustin) : y a-t-il là cohérence ou bien mutation, par rapport au sémantisme traditionnel d’auctor ? Quant au sens littéraire d’ « auteur » d’une œuvre, il semble émerger au ier siècle av. J.‑C., surtout chez Cicéron ; mais il n’apparaît encore qu’au croisement de plusieurs emplois existants : fondement de pensée (en parlant des philosophes), source historique ou scientifique, et enfin modèle littéraire, notamment en poésie et en rhétorique (voir chez Quintilien). Auctor désigne celui à qui l’on se réfère, comme garant de vérité ou exemple à imiter, et connote la déférence. Au Moyen Âge, qu’est-ce qui définira exactement le canon des auctores ? Peut-on dire que l’esthétique y reste subordonnée à l’éthique[4] ? Y a-t-il un tournant à la Renaissance, où la figure moderne de « l’auteur » se construirait non plus seulement dans l’imitation/émulation, mais aussi à travers la critique de la tradition (l’auteur contre les auctores, en quelque sorte) ?

            On s’intéressera particulièrement au passage du latin auctor au français auteur. On reviendra enfin sur les éléments de la « fonction-auteur » selon Foucault : une construction identitaire répondant au besoin d’attribuer un texte à un nom propre, pour lui donner une valeur qui surclasse l’usage banal de la parole, pour lui trouver un principe d’unité dans la production du sens, mais aussi lui assigner une responsabilité pénale, par rapport à la censure et à la répression. Selon ces critères, peut-on conclure que la notion d’auctor/auteur existait déjà dans l’Antiquité, même si elle n’était pas aussi clairement dégagée qu’à l’époque moderne depuis l’invention de l’imprimerie et la constitution du droit d’auteur ?

           Cette recherche collective fait suite à des travaux publiés par l’équipe ICD dans le volume L’autorité dans le monde des Lettres (Paris, Éditions Kimé, 2015), où deux contributions reprenaient les questions d’étymologie et de sens pour auctor / auctoritas, en référence notamment aux études de Maurizio Bettini. L’éminent philologue italien, de renommée internationale, nous a fait l’honneur de participer au comité scientifique de ce nouveau colloque, qui conjuguera sémantique et littérature, histoire d’un mot clé dans la culture européenne et histoire des idées.



[1] M. Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Bulletin de la société française de philosophie, 63, 1969, p. 73-104 ; repr. in Dits et écrits I, Paris, Gallimard, 1994, p. 789-821.

[2] VoirW. Belardi, « Auctor e Auctoritas. Sopravvivenze del significato e del significante nel tempo », Storia Antropologia e Scienze del Linguaggio 10, 1995, p. 127-190, et M. Bettini., « Alle soglie dell’autorità », saggio in B. Lincoln, L’autorità, trad. di S. Romani, Torino, Einaudi, 2000, p. vii-xxxiv (en particulier pour une analyse critique de l’hypothèse benvenistienne sur le sens premier de augeo).

[3] A. Kojève, 2004, La Notion de l’autorité (1942), Paris, Gallimard, 2004.

[4] Cf. M. Zimmermann, Auctor & auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, Actes du colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), Mémoires et documents de l’École des Chartes, 59, 2001 ; E. D’Angelo & J. Ziolkowski (éds.), Auctor et Auctoritas in Latinis Medii Aevi Litteris. Author and Authorship in Medieval Latin Literature. Proceedings of the VI Congress of the International Medieval Latin Committee (Benevento and Naples, November 9-13, 2010), Florence, 2014.

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